mardi 28 avril 2009

Base élève : un fichage légal ?


Un excellent article de synthèse sur Base élève à lire sur le Quelle école pour demain ? repris par "sauvons l'école"

Depuis 2004, le fichier informatique Base Elève 1er degré est expérimenté, puis généralisé dans presque toutes les écoles maternelles et primaires de France.

Le but annoncé est de relever et traiter des données concernant les élèves, et leur parcours scolaire.

Selon le site de l’Académie de Rennes, à l’instar de "Sconet" (SCOlarité sut le NET) utilisé depuis 1993 dans le second degré, ce traitement informatisé permettrait :
- une aide à la gestion locale de la vie scolaire
- le suivi pédagogique du parcours des élèves
- le pilotage académique du système scolaire
- le suivi statistique national des effectifs d’élèves de la maternelle à l’entrée en 6e.

Pourtant, 179 directeurs et directrices d’écoles ont signé l’Appel à la résistance citoyenne contre le fichage des enfants du 8 novembre 2008 et ce, malgré les menaces et sanctions déjà subies par certains d’entre eux dès le mois d’octobre de la même année. (1, 2) . Cette obstination et ce manquement aux devoirs du fonctionnaire peuvent surprendre. Pourquoi donc de figer dans une opposition archaïque alors l’utilisation de l’informatique semble pouvoir permettre une gestion plus efficace de la scolarité des élèves ?

Au-delà de positions de principe ou de combat qualifiés d’arrière garde, il semblerait que ces réfractaires puissent d’appuyer sur la loi pour dénoncer le fichier Base Elève 1er degré. A ce titre, leur protestation a trouvé des relais auprès des parents d’élèves et suscité des échos dans les instances internationales de l’ONU.

En effet, dans le cadre de l’application de la convention relative aux droits de l’enfant, le Comité des droits de l’enfant de l’ONU somme la France de s’expliquer :
- sur les différentes banques de données dans lesquelles les informations personnelles sur les enfants sont collectées et/ou conservées ;
- sur les missions de service public auxquelles servira la conservation au niveau national de données nominatives de « Base élèves 1er degré » ;
- sur les raisons pour lesquelles le droit d’opposition prévu par la loi ne s’applique pas à ce dispositif, et les conséquences éventuelles que pourrait entraîner le refus des parents de fournir les informations requises sur leurs enfants. Directive adressée à la France, le 24 février 2009

Par ailleurs, une plainte contre X a été déposée par les groupes de parents du Collectif national de résistance à Base élèves Contre le fichage à l’école, dans plusieurs départements. Cette plainte, rédigée avec l’aide du Syndicat des Avocats de France, détaille les atteintes à la loi informatique et liberté ainsi qu’aux conventions relatives à la protection de la vie privée observées dans le cadre mise en place de Base élèves.

Voyons, point par point, les éléments qui ont posé problème au cours de la mise en place de ce fichier, et ceux qui restent encore à ce jour litigieux.

I- SECURISATION DES FICHIERS

Abréviations :
- CNIL : Commission nationale de l’informatique et des libertés
- MEN : Ministère de l’Education Nationale.
- BE1d : Base élève 1er degré

NB : on peut trouver en fin d’article la citation des articles de loi cités.

A- LA LOI : UNE SECURISATION OBLIGATOIRE

Selon l’article 34 de la loi à l’informatique, aux fichiers et aux libertés,

en tant que responsable du BE1d, le MEN est tenu de garantir que les données relevées :
- ne seront pas accessibles à des personnes non autorisées,
- ne pourront pas être déformées ou endommagées.

B- MISE EN PLACE : LA CHARRUE AVANT LES BOEUFS

La mise en place accélérée de Base Elève dans le premier de degré s’est pourtant faite selon une démarche qui peut sembler étrange, tant du point de vue de la rigueur que de celui de la légalité.

- L’expérimentation du fichier a lieu dès 2004-2005.

Or, dès le début de la procédure entamée seulement fin 2004 par le MEN, la CNIL souligne le problème de la sécurité des transmissions d’informations par le réseau internet, la proposition d’un accès à la base par un nom de compte et mot de passe étant jugée insuffisante du point de vue de la sécurité.

Le MEN déclare dans un courrier à la CNIL du 17 mai 2005 : “Le réseau de transmission est sécurisé par un passeport électronique qui garantit l’identité de l’utilisateur. Ces passeports sont, dans le cadre de l’expérimentation, fonctionnels. Ils sont remis à un représentant de l’entité concernée (mairie, école).”

En réalité, le MEN n’a pas mis en place ce passeport électronique.

Ce n’est que le 26 juin 2006 que la CNIL constate que “l’identification forte par passeport électronique” permettant d’accéder aux données de la “base élèves”, n’aurait pas été implantée.

En réponse, le MEN fournit à la CNIL une note du 21 juin 2006 à propos de la mise en place des passeports par clés USB RSA qui indique : “L’inconvénient de la solution était que l’installation du support était intrusive par rapport à des postes de travail hétérogènes et non maîtrisés dans le cadre d’une politique globale d’équipement (les équipements des écoles sont financés par les mairies)” (3)

- En 2006-2007, l’utilisation du fichier est élargie à la moitié des départements.

Cependant, le 11 juin 2007, l’intersyndicale de l’Ille et Vilaine informe la CNIL de graves dysfonctionnements du BE1d : des personnes extérieures à l’expérimentation ont constaté qu’elles pouvaient avoir librement accès aux fichiers des élèves.

Un appel d’offre est lancé le 15 juin 2007 pour la sécurisation de l’accès aux fichiers BE1d. (4)

- Dès la rentrée 2007, le déploiement est initié sur tout le territoire français. Il est achevé à partir de la rentrée 2008.

- Pourtant, c’est seulement à partir du second semestre 2008 que des clés électroniques de sécurisation et des codes PIN sont expérimentés pour limiter l’accès de BE1d. (5).

C- AU FINAL : SECURISATION IMPOSSIBLE ?

Le dispositif d’identification n’est toujours pas opérationnel fin 2008 sur certains départements. Selon les déclarations même du Ministère à la CNIL, il ne peut être garanti par le MEN, dans la mesure où les postes informatiques des écoles sont gérés par les mairies. (6)

- A partir de la rentrée 2008, les directeurs refusant d’utiliser BE1d ont commencé à être sanctionnés par des retraits de salaires et des sanctions administratives...
II- RESPECT DE LA VIE PRIVEE

A- LA LOI : DROIT AU RESPECT DE LA LOI PRIVEE

Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ratifiée par la France le 1er novembre 1988, article 8.
- 1-Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
- 2-Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

Ces droits sont repris par la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unies le 20 novembre 1989, article 16.

B- 2004 : QUELLE VIE PRIVEE ?

’Avant la mise en place de BE1d,

- les données concernant les adresses et n° de tel des parents existaient bien dans les écoles, mais sur des fichiers papier, qui n’étaient transmis à aucune personne extérieure.
- les données concernant l’absentéisme d’un élève n’étaient données à l’IEN qu’en cas de problème avéré.
- les données concernant le handicap ou la santé des élèves étaient gérées par les médecins scolaires et psychologues scolaires, et soumises au secret professionnel.
- les nationalités, langues et pays d’origine des familles n’étaient ni demandées ni consignées.

La nature des champs à renseigner dans la première version de Base Elève premier degré, proposée en 2004 (7), a soulevé de multiples critiques.

- Dans le volet « Etat Civil » de l’enfant et des parents (ou responsable légal) partagé avec les services communaux (mairie/inscription) :

* l’identité, les adresses des parents,
* mais aussi : les numéros de téléphone domicile / portables / travail, les professions des parents, les « origines géographiques de l’enfant » (pays d’origine, date d’arrivée en France).

- Dans le volet « Cursus scolaire » :

* des éléments de la scolarité actuelle de l’élève : cycle, niveau, classe, nom de l’enseignant, proposition à l’issue du cycle,
* des informations périscolaires (cantines, études, garderies....),
* des informations sur la scolarité antérieure (écoles fréquentées, départements...).
* la langue vivante, nom de l’intervenant
* mais aussi : la langue et culture d’origine, l’absentéisme signalé.

- Dans le volet « Besoins éducatifs » :

* les Auxiliaires de Vie Scolaire,
* mais aussi :
* les projets d’accueil individualisés,
* les suivis RASED (Réseaux d’aide spécialisée aux enfants en difficulté),
* l’intégration en CLIS (classes d’intégration scolaire).

C- 2006 : « CE DOCUMENT ÉTAIT PROFONDÉMENT LIBERTICIDE ».

Suite à de multiples plaintes, les champs concernant la profession et la catégorie sociale des parents, l’origine, la situation familiale de l’élève, ont été retirés du périmètre des données collectées dans le logiciel BE1d depuis juin 2006. (8)

Le Ministre de l’Education Nationale, a reconnu, le 17 juin 2008, lors d’un débat en commission parlementaire, que « ... ce document était profondément liberticide. L’origine sociale des familles, la langue des parents, etc. ne nous intéressent pas. Le fait de les indiquer est inutile et n’est pas conforme à la tradition républicaine de l’école de Jules Ferry, qui doit accueillir les enfants quels qu’ils soient pourvu qu’ils soient d’âge scolaire. Nous avons donc modifié le décret relatif à la “ base élèves ”, de façon qu’elle indique uniquement le nom et l’âge de l’élève. » (9)

Pourtant, il demeure dans la BE1d, des données personnelles concernant les élèves.
- Certaines, comme l’absentéisme, peuvent être utiles à la gestion de la scolarité et au suivi des parcours des élèves : elles devraient cependant rester internes aux établissements scolaires concernés.
- Les données relatives aux Réseaux d’Aide Scolaire aux Elèves en Difficulté (RASED), peuvent toujours être renseignées dans BE1d. Même si leur saisie est à présent facultative cette possibilité remet en question leur confidentialité.
- Le champ "nationalité", qui a remplacé celui concernant "l’origine géographique" reste obligatoire, (10), bien que MEN ne soit pas habilité à relever ce genre de donnée.
III- INFORMATION DES FAMILLES

A- LA LOI : LE DROIT D’ETRE INFORME

Selon les article 32, 39, 40 de la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés :

Toute famille inscrivant son enfant à l’école devrait être informée du fait que les renseignements qu’elle fournit lors de l’inscription seront repris dans un fichier informatique.

Elle a droit d’accès de contrôle et de modification sur les données la concernant.

Elle est par ailleurs en droit de savoir :
- A qui seront transmis ces renseignements et dans quel but.
- Si c’est obligatoire de fournir ces informations et quelles sanctions sont appliquées en cas de refus.

B- MISE EN PLACE ET MODIFICATIONS : UNE TOTALE OPACITE

La BE1d a été mise en place puis modifiée sans aucune information à destination des parents.

Elle a fonctionné de manière « expérimentale » entre 2004 et 2006 et il n’existe aucune garantie concernant la suppression des données collectées désormais non exigibles depuis l’arrêté du 20 octobre 2008.

La base de données SCONET actuellement utilisée au collège contient à présent de nombreux champs litigieux qui étaient prévus au départ dans la BEd : notes, absences, nationalité, tout cela sans aucune information des familles.

les fiches de renseignements à remplir par les parents prévues par le MEN pour l’année scolaire 2008/2009 comportent encore de nombreuses irrégularités :
- elles ne contiennent aucune mention relative au traitement BE1d ou SCONET ;
- elles ne font pas apparaître le partage des données avec l’inspecteur de circonscription et l’inspecteur d’académie ou d’autres organismes ;
- elles ne mentionnent pas les finalités du traitement ...

C- INTERCONNEXIONS MULTIPLES ET BUTS INVERIFIABLES

- Les données à caractère personnel du traitement BE1d seront au moins pour partie d‘entre elles intégrées, grâce à l’INE (identifiant national élèves), dans la (BNIE) (Banque Nationale d’Identification des Elèves).

Elles pourront être reprises :
- dans la base SCONET pour les enfants qui rejoindront le second degré, puis l’université.
- dans la base OCEAN pour la gestion des examens et concours,
- dans la base SISE pour le suivi des étudiants, ce qui implique des liens avec le Ministère de la recherche et des Universités.
- dans la base SIFA pour la gestion des apprentis dans les Centres de Formation des Apprentis, ce qui implique des liens avec les régions, les chambres de commerce, de métiers ou d’agriculture, les entreprises et les établissements d’enseignement public ou privé.
- dans la base SIA pour ceux qui iront en lycée ou école d’ingénieur agricole, ce qui implique des liens avec le Ministère de l’Agriculture.

- Les données à caractère personnel du traitement BE1d sont également interconnectées avec les systèmes de traitement automatisé de données personnelles des mairies et des services d’Action Familliale et Sociale, notamment pour le recensement des enfants soumis à l’obligation scolaire.

L’ampleur de ces possibilités d’interconnexion laisse peu de chance aux personnes concernées d’exercer leurs droits de vérification des données, des destinataires et des buts poursuivis par chacun d’eux...

D- QUELLES GARANTIES A LONG TERME ?

Certaines informations pourront être conservées pendant une période qui pourra aller jusqu’à 35 ans selon les déclarations faites par les services de l’Education Nationale à la CNIL le 8 février 2008.

Qui peut garantir la neutralité de l’utilisation d’un fichier de données sur une telle durée ?

« Personne ne peut savoir comment un fichier, créé pour telle ou telle raison, évoluera au gré des lois, si bien que son objet est très vite détourné. Lorsqu’on a voté la création du fichier des empreintes génétiques (le Fnaeg), sous le règne d’Élisabeth Guigou en 1998, c’était soi-disant pour traquer les délinquants sexuels dangereux. Et on s’est aperçu plus tard que la loi a évolué pour concerner des petits délits, notamment suite à la loi Sarkozy de 2003. »

Maurice Rajsfus, cofondateur de l’Observatoire des libertés publiques

NB : Maurice Rajsfus parle en connaissance de cause, lui qui a été inscrit au « fichier juif » en octobre 1940, avant d’être arrêté par des policiers français, le 16 juillet 1942, au cours de la rafle du Vel’ d’Hiv’ — il avait 14 ans. A cette époque, l’existence d’un fichier de type Base élève n’était pas techniquement envisageable.
IV- PROCEDURES LEGALES VIS-A-VIS DE LA CNIL

A- LA LOI : LE BE1d EST SOUMIS A DEMANDE D’AUTORISATION DE LA CNIL

Selon l’article 25 de la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés

Les fichiers BE1d
- comportant des appréciations sur les difficultés sociales des personnes,
- pouvant être utilisés pour supprimer un droit ou un prestation,
- pouvant être interconnectés avec des administrations ou des personnes ayant des buts différents.

Ils sont donc soumis à l’obligation d’une demande d’autorisation à la CNIL.

B- LES FAITS : UNE SIMPLE DECLARATION DE BE1d

L’expérimentation du traitement BE1d a débuté avant même la moindre déclaration à la CNIL.

Le fichier est instauré par arrêté du 20 octobre 2008, après une procédure de simple déclaration à la CNIL,déposée le 24 décembre 2004.

Afin de mettre en conformité la déclaration avec le contenu réel de l’application, le Ministère de l’éducation Nationale a déposé le 19 février 2008 une déclaration modificative, pour laquelle la Cnil a établi un récépissé le 22 avril 2008 (11)

L’obligation de demande d’autorisation imposée par la nature du fichier mis en place n’a pas été pas respectée.
V- EN GUISE DE CONCLUSION : UN ORDINATEUR, LUI, N’AURAIT PAS PROTESTÉ...

Au matin du lundi 17 septembre 2007, l’Inspecteur d’Académie du Haut-Rhin a envoyé aux 850 écoles du département un mail leur demandant de signaler les élèves scolarisés « sans papiers ».

L’ensemble de la communauté éducative a immédiatement dénoncé cette démarche inacceptable et, dans l’après-midi même, l’administration a annulé sa demande (12).

Peut-on imaginer comment les choses se seraient passées si l’administration avait disposé d’un fichier national centralisé des enfants ? Les ordinateurs ne sont pas dotés ni de conscience ni de capacité de protestation.

Aucun commentaire: