samedi 11 avril 2009

Lettre ouverte aux étudiants français et à leurs parents

Depuis le début du mois de février 2009, soit depuis deux mois, de nombreux enseignants-chercheurs poursuivent un mouvement de résistance aux réformes que le gouvernement actuel entend leur imposer. Parce que la désinformation est grande, tant de la part du gouvernement que de celle des médias, il paraît aujourd'hui nécessaire de vous expliquer pourquoi et comment la loi relative aux Libertés et Responsabilités des Universités ainsi que les deux projets de réforme du statut des enseignants-chercheurs et du recrutement des enseignants du premier et du second degré vous menacent directement, vous, vos enfants, vos petits-enfants et leur avenir.

La loi LRU

Votée le 10 août 2007 à la hussarde, cette loi prévoit notamment que les universités devront désormais trouver elles-mêmes leurs financements : en termes clairs, l'Etat se retire de ce secteur et laisse les établissements du supérieur trouver l'argent dont ils ont besoin pour fonctionner. Cela signifie concrètement que les établissements du supérieur doivent s'en remettre à des fonds privés, notamment à des entreprises, qui acceptent d'investir sur eux. Il va de soi que les entreprises ne vont pas financer n'importe quel secteur : elles n'octroieront d'argent qu'aux disciplines qui les intéressent. Dans cette perspective, des disciplines telles que les lettres classiques et modernes, les langues vivantes, les langues anciennes, la philosophie, l'Histoire, la sociologie et d'une manière générale, tout ce qu'on appelle les sciences humaines, deviendront, dans le meilleur des cas, extrêmement rares et, le plus souvent, disparaîtront purement et simplement de la plupart des universités. Les moyens financiers devenant plus rares, les Universités auront de moins en moins les moyens de se doter de personnels administratifs : les documentalistes, secrétaires, techniciens disparaîtront donc peu à peu des établissements publics du supérieur. Les Universités, par la loi LRU, deviennent propriétaires de leurs locaux qu'elles sont censées entretenir par leurs propres moyens : l'argent devenant rare, il va de soi que les locaux des universités seront de plus en plus délabrés.
Une autre conséquence de l'introduction de cette logique économique à l'intérieur de l'Université sera l'augmentation faramineuse (plusieurs centaines puis à terme plusieurs milliers d'Euros par an) des frais d'inscription et de scolarité puisque les établissements du supérieur seront réduits à trouver seuls les deniers nécessaires à leur existence et à leur fonctionnement.
Autre conséquence encore de la loi LRU : le regroupement des disciplines dans des lieux précis, les Universités étant conduites, du fait de cette loi, à orienter leurs disciplines en fonction de la demande des entreprises locales qui les financeront. Apparaîtront donc des pôles disciplinaires : on étudiera la chimie à Marseille, les nanotechnologies à Grenoble, l'agronomie à Rennes.. Si vous vivez à Caen et que votre enfant souhaite devenir chimiste, il ne pourra pas étudier dans l'Université la plus proche car cette discipline aura disparu. Il devra partir pour Marseille et il vous faudra financer l'inscription, la scolarisation, le logement et la vie quotidienne de votre enfant à l'autre bout de la France. Inutile de se leurrer, cela sera très largement au-dessus des moyens financiers de la plupart des familles françaises.

La mastérisation des concours de l'enseignement primaire et secondaire

Jusqu'à présent, les enseignants du premier degré étaient recrutés au moyen d'un concours appelé CRPE (Concours de Recrutement des Professeurs des Ecoles), ceux du secondaires au moyen de deux concours, le CAPES (Certificat d'Aptitude Professionnelle à l'Enseignement Secondaire) et l'Agrégation. Tous ces concours, requérant de grandes compétences disciplinaires, garantissaient que les enfants des établissements publics primaires et secondaires étaient confiés à des enseignants pleinement qualifiés. Ces concours pouvaient être présentés par les candidats dès qu'ils avaient obtenu une Licence, soit après trois ans d'études.
Ces personnels enseignants étaient, dès lors qu'ils avaient réussi leur concours, des fonctionnaires de l'Etat Français : payés par lui, ils étaient aussi à son service et rejoignaient un poste en tant que stagiaires où ils exerçaient leur fonction. Ce stage d'un an accompagné était rémunéré normalement et à l'issue les jeunes enseignants étaient titularisés.
Pour les étudiants, ce système avait l'avantage de garantir un revenu mensuel décent dès lors qu'ils réussissaient l'un de ces concours : l'année de stage correspondait à la cinquième année d'études d'un jeune. Cela signifie qu'à l'âge d'environ 23 ans, un jeune lauréat aux concours de l'enseignement était professionnellement qualifié et financièrement autonome, ce qui représentait pour les parents un soulagement.
Pour le service public d'enseignement, ce recrutement sur concours permettait d'avoir toutes les garanties de compétence et de dévouement de la part de l'enseignant recruté.

Or la mastérisation de ces concours va apporter les changements suivants :
- pour enseigner, les étudiants devront être titulaires d'un diplôme universitaire de fin de cinquième année (M2) spécialisé en enseignement (ce qui représente deux ans d'études supplémentaires).
- ce diplôme universitaire n'aura pas nécessairement le même contenu disciplinaire que les concours de recrutement de l'enseignement en vigueur jusqu'ici : cela signifie que des étudiants pourront obtenir un diplôme d'enseignement d'une langue vivante, par exemple, en la parlant très mal.
- ce diplôme universitaire ne conduira pas à un stage de formation : si votre enfant souhaite devenir enseignant, il devra, après avoir obtenu son M2 (donc après avoir accompli 5 ans d'études), chercher lui-même un établissement qui l'accepte comme stagiaire. Ce stage ne sera pas nécessairement rémunéré. Si l'étudiant est parvenu à accomplir un stage, son parcours du combattant ne s'arrêtera pas là : il devra encore trouver seul un poste. Il devra pour cela solliciter lui-même des établissements du primaire ou du secondaire, qui pourront ne l'employer que durant l'année scolaire, soit dix mois : ce jeune enseignant ne sera donc pas payé durant les vacances scolaires et il ne sera pas titulaire de son poste. Il sera en d'autres termes un travailleur précaire. Ce qui signifie que les élèves du primaire et du secondaire auront face à eux des enseignants aux compétences amoindries et socio-économiquement fragilisés.

La réforme du statut des enseignants-chercheurs

Les enseignants qui font classe aux étudiants sont des personnels très qualifiés : titulaires d'un doctorat, titulaires de divers concours de recrutement de l'enseignement (concours de l'agrégation, concours d'accès aux postes de maîtres de conférences), ils ont en général accompli des études qui ont duré plus de 10 ans. Ils sont mal payés compte tenu de leurs qualifications (un jeune maître de conférences gagne environ 2000 Euros par mois).
Ces enseignants-là sont des enseignants-chercheurs : pour obtenir leur doctorat ils ont effectué des recherches et écrit une thèse sur une période pouvant varier de 3 à 7 ans. A la suite de l'écriture puis de la soutenance de leur thèse, ces enseignants continuent leur recherche : ils écrivent des communications et des articles. Leur travail de recherche est la base de leur enseignement : si ces enseignants n'ont plus le temps de faire de la recherche, ils n'auront plus rien à enseigner à leurs étudiants.
Or que propose la réforme du statut des enseignants-chercheurs?
D'augmenter la charge d'enseignement de ces enseignants sur décision du président d'Université auquel cette réforme prévoit d'octroyer des pouvoirs exorbitants.
En d'autres termes, des enseignants pourront voir leur charge d'enseignement doubler ou tripler sur simple décision de leur président, sans aucune augmentation de salaire. De ce fait ils ne pourront plus effectuer de recherche et le contenu de leurs cours s'en trouvera très gravement appauvri. Cette mesure aura aussi pour conséquence directe de menacer l'existence-même de la recherche universitaire et non, contrairement à ce que prétend le gouvernement, de la valoriser.

Pour résumer, l'ensemble des mesures d'agression de l'enseignement public entreprises par le gouvernement actuel vise à :

- asphyxier la recherche universitaire alors même que l'innovation, moteur de l'économie moderne, a besoin de recherches et de chercheurs travaillant sur le long terme, et ce dans toutes les disciplines,

- hiérarchiser les disciplines universitaires et mettre à mort celles que le gouvernement considère comme "inutiles" ou "non-rentables",

- appauvrir et décrédibiliser la qualité de l'enseignement supérieur public et gratuit afin de favoriser les institutions privées et très chères,

- précariser les enseignants du primaire et du secondaire, bâcler leur formation, brader les exigences qui présidaient jusqu'ici à leur recrutement et ainsi contribuer à détruire l'enseignement primaire et secondaire public et gratuit au profit là encore d'institutions privées très onéreuses.

En un mot comme en cent, le gouvernement Fillon, sous la houlette du Président Sarkozy, a le projet de détuire l'un des piliers de la démocratie française : la notion d'égalité et de droit à l'éducation gratuite qui va avec.

Si nous voulons préserver le droit fondamental de tous, riches ou pauvres, d'accéder à la connaissance et par là-même à la citoyenneté éclairée, nous devons combattre l'ensemble des projets relatifs à l'éducation portés par ce gouvernement.

Une Maîtresse de Conférences qui en a assez de se faire injurier par la clique d'arrivistes incompétents qui occupe le pouvoir.

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