vendredi 28 novembre 2008

ARITHMOPHOBIE ?


La lecture des comptes-rendus des débats parlementaires pourrait devenir un support intéressant — et original — pour initier les maîtres en formation à la psychologie de l’erreur.
En effet, la réponse que le ministre de l’éducation nationale, M. Darcos, fait à une question de Mme Le Moal, députée, Nouveau Centre, lors du débat sur le budget de l'éducation nationale, mardi 4 novembre, contient une étonnante substitution de chiffres :
• Dans sa question, Mme Le Moal alerte le ministre : « La réaffectation dans les classes de 3 000 maîtres de RASED que vous envisagez peut faire que 100 000 enfants les plus exposés à l’échec scolaire seraient privés des aides spécialisées qu’ils reçoivent actuellement. »
• M. Darcos lui répond : « Madame la députée, vous dites que 100 000 élèves en difficulté sont accompagnés par les 15 000 membres du RASED. Cela voudrait dire que chacun voit six élèves par an. On peut donc sans aucun doute rendre le système plus performant. »
La députée de la majorité a eu la courtoisie à l’égard du ministre de ne pas pointer cette substitution de chiffres en séance publique. Pourtant, Mme Le Moal parlait clairement des seuls 3 000 postes que le ministre demande de supprimer. Or le quotient de 100 000 par 3 000 est d'un peu plus de 33 et non de 6.
Si le quotient de 100 000 par 15 000 est effectivement proche de 6 (en fait, il est plus près de 7), on ne comprend quand même pas d'où vient le diviseur de 15 000 utilisé par M. Darcos. Ce n'est ni le nombre des postes supprimés (3 000), ni le nombre total des postes en RASED, qui est de 11 500, mais de 8 500, si on ne compte que les maîtres E et G, seuls métiers explicitement menacés par les suppressions de postes envisagées.
Alors pourquoi cette réponse pour le moins décalée ? En formation initiale, l’intérêt d’une question similaire serait d’amener les stagiaires à interpréter un comportement verbal où le sujet, croyant répéter ce qu’a dit autrui, en donne une image en distorsion.
Éliminons d’emblée une première hypothèse : M. Darcos aurait eu conscience de cette substitution de chiffres (15 000 au lieu de 3 000 !). Il s'agirait alors d'une manœuvre perfide. Nous ne pouvons que rejeter cette hypothèse, qui n’a rien de psychologique. En pédagogie, cette explication consisterait en effet à rapporter l’erreur de l’élève à un défaut moral (paresse, indifférence, insolence, etc.). Or, assimiler l’erreur à une faute, c’est disqualifier l’élève comme tel, c’est le voir comme un être à redresser (re-dresser ?) plutôt qu’à instruire. Ici, cela reviendrait aussi à jeter le soupçon sur l’honneur d’un magistrat de la République.
Examinons une deuxième hypothèse : M. Darcos a fait une erreur de mémorisation d'une information contenue dans le texte de la question de Mme Le Moal. Cette erreur serait exemplaire du processus que les psychologues appellent la réélaboration des souvenirs, lequel est comparable à celui qui débouche sur certains lapsus « significatifs ». Mais cette hypothèse conduirait à voir dans cette substitution inconsciente de chiffres le reflet d'intentions malveillantes du ministre à l'égard des RASED. Là encore, nous sortirions des limites de la réflexion didactique pour nous perdre dans des considérations morales. Rien ne nous autorise non plus à parler au nom de l’inconscient d’autrui.
On ne voit qu’une troisième hypothèse : M. Xavier Darcos ferait partie de ces personnes qui sont paniquées aussitôt qu'elles sont mises en présence de chiffres. Pour ce trouble très pénalisant du fonctionnement cognitif, on parle d'arithmophobie. Même si cela est assez rare, il peut arriver à des maîtres de RASED de rencontrer de tels sujets. On voit d’ailleurs en ce moment, sur les écrans de TV, une publicité pour une entreprise privée « d’aide personnalisée » qui présente, de façon caricaturale, un enfant victime de ce trouble (en voyant un compas entrer dans sa chambre, il pousse des cris terribles et se réfugie sous son lit).
Cette interprétation a pour elle des éléments empiriques. On sait en effet que notre ministre semble fâché avec la proportionnalité (http://www.dailymotion.com/video/x6f2op_xavier-darcos-en-kholle-de-maths_school). On peut alors se demander si, en fait, plus généralement, il n'est pas fâché avec les chiffres.
Hélas, les données connues montrent que, chez les adultes, les approches thérapeutiques sont peu efficaces pour diminuer l’intensité de la phobie. L’approche la plus prometteuse semble se situer du côté de la prévention dans les premiers apprentissages en TPS et PS (voir par exemple Brissiaud, Premiers pas vers les maths, Retz, 2007) ou d’une prise en charge rééducative aussitôt que se manifestent les premiers signes d’angoisse face aux symboles arithmétiques.
André OUZOULIAS
Professeur à l'IUFM de Versailles-UCP (Université de Cergy-Pontoise)
Département PEPSSE (Philosophie, épistémologie, psychologie, sociologie et sciences de l'éducation)

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