samedi 24 janvier 2009

"la droite ne comprend pas le monde enseignant"

L'historien de l'éducation analyse la rupture entre enseignants et gouvernement
Claude Lelièvre : "la droite ne comprend pas le monde enseignant"
LE MONDE | 21.01.09

près le retrait de la réforme des lycées, Xavier Darcos doit présenter ses nouveaux chantiers jeudi 22 janvier, mais samedi 17, les enseignants ont une nouvelle fois défilé contre la politique éducative du gouvernement.

Le ministre de l'éducation nationale avait su, au départ, leur parler. Il semble aujourd'hui avoir perdu la main. Retour sur une rupture avec l'historien de l'éducation Claude Lelièvre, un des meilleurs connaisseurs du système éducatif.

Quelles erreurs Xavier Darcos a-t-il commises ?
Dans le primaire, qui se mobilise toujours davantage que le secondaire, un point de non-retour a été franchi. Le ministre de l'éducation nationale a multiplié les erreurs, en remettant, avec des mots malheureux, la question de la maternelle sur la place publique, mais aussi en touchant le point sensible de l'identité professionnelle des instituteurs.

Contrairement à celle de leurs confrères du secondaire, cette identité n'est pas fondée sur une discipline, mais au fait, toutes disciplines confondues, de savoir enseigner. Et, après l'activisme de Gilles de Robien (ministre de l'éducation de Dominique de Villepin entre juin 2005 et mai 2007) sur les méthodes de lecture, les maîtres ont perçu les nouveaux programmes élaborés par Xavier Darcos comme une remise en question de leur professionnalisme.

La troisième erreur est également liée à cette question d'identité : dire que tous les maîtres peuvent effectuer le travail de soutien des professeurs de Rased (réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté) revient à dire qu'un enseignant généraliste peut faire n'importe quoi, et qu'il est donc n'importe qui. Les enseignants se sont considérés méprisés. M. Darcos a appuyé là où ça fait mal, notamment parce qu'il connaît moins le primaire que le secondaire, dont il est issu.

N'a-t-il pas aussi été maladroit avec les enseignants du secondaire ?
Il faut reconnaître que réformer le lycée n'est pas chose facile, surtout dans un contexte de suppressions de postes... Son erreur fut, entraîné par le rythme imprimé par Nicolas Sarkozy, de précipiter les choses en passant au-dessus des organisations. Il a même brocardé les syndicats et négligé la FCPE, principale organisation de parents dans le secondaire. Son projet de réforme s'en prenait également aux disciplines, point sensible pour les professeurs de lycée.

Que révèle ce mouvement de contestation ?

Une grande exaspération chez les enseignants. Lorsque Xavier Darcos a voulu supprimer 3 000 postes de Rased, les pétitions lancées ici ou là ont très vite recueilli plus de 200 000 signatures ! C'est très significatif. Les instituteurs qui signent des lettres individuelles pour affirmer qu'ils n'appliqueront ni les programmes ni l'aide individualisé e sont plus de mille aujourd'hui. .. Et ce ne sont pas automatiquement des gauchistes !

Le mouvement actuel montre aussi que des enseignants ont compris que les formes traditionnelles de contestation ne suffisent plus. Ils se souviennent de la réforme des retraites de 2003. Après de longues grèves, non seulement ils n'avaient pas obtenu gain de cause, mais ils avaient subi de fortes retenues sur salaire.

Le divorce entre la droite au pouvoir et les enseignants est persistant depuis 2003. Les deux mondes sont-ils irréconciliables ?

Après le rejet de Claude Allègre (ministre de l'éducation nationale de Lionel Jospin entre 1997 et 2000), de nombreux observateurs, notamment de droite, avaient considéré que celle-ci avait un boulevard devant elle pour séduire les enseignants. Mais Luc Ferry (ministre de l'éducation nationale de Jean-Pierre Raffarin entre 2002 et 2004) a gâché cette chance. Et les lobbies de droite, en réalité, sont davantage entendus d'une partie de l'opinion que des enseignants. Si la confiance des enseignants dans la gauche classique est ébranlée, la droite n'arrive pas à en tirer bénéfice, tout simplement parce qu'elle ne comprend pas le monde enseignant.

Xavier Darcos peut-il encore renouer avec les enseignants ?
Si j'étais à sa place, je serais inquiet ! Comme il a multiplié les annonces, s'il ne va plus de l'avant, il risque de tomber ! A l'égard des enseignants du primaire, seul un nouveau ministre peut permettre une réconciliation. Quant au lycée, si l'objectif de la réforme est maintenu, le gouvernement devra s'appuyer sur l'opinion. En plaçant la réforme dans un contexte sociétal plus large, Nicolas Sarkozy a peut-être trouvé la solution.

Propos recueillis par Benoît Floc'h et Philippe Jacqué
Article paru dans l'édition du 22.01.09

Aucun commentaire: