dimanche 21 décembre 2008

Evaluation des professeurs

par Yutsenko, University Professor
07.12.08

Je suis professeur d'universite aux Etats-Unis ou nos carrières dépendent littéralement des évaluations des étudiants. Ce que je constate est que ce sytème d'évaluation n'a rien de rationnel ni de positif. En règle generale, la corrélation entre le pourcentage d'étudiants qui échouent et le pourcentage d'évaluations negatives est impossible à ignorer. Ce qui nous place dans une dynamique clientéliste fort éloignée de ce que devrait être l'enseignement.

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Pour les jeunes professeurs, intimidés par ce système et menacés par la perspective de résultats négatifs, il est tentant de céder a la loi du plus fort : dans ce cas, la loi d'étudiants dont l'engagement académique est de plus en plus orienté vers l'obtention d'un bout de papier qui leur permettra de négocier des salaires de départ plus eleves que le Smic !

D'autre part, cette dynamique nous oblige aussi a réinventer sans cesse un curriculum (d'un semestre a l'autre puisque nous sommes tous soumis à ces obligations de résultats) qui attire de nombreux étudiants ($$$ oblige !) et, par cela, à ignorer le canon (trop demandant), ce qui en retour promeut la médiocrité. Le corps professoral a l'obligation de se réinventer au-delà de ses propres limites de compétence, dans des délais impossibles, et les intérêts des étudiants sont majoritairement centrés sur une culture populaire de plus en plus réductioniste. Ajoutez à cela les contraintes de temps auxquelles tout enseignant est confronté, et les devoirs administratifs de plus en plus lourds, et vous avez un corps professoral digne de l'empire romain, dans lequel les instructeurs étaient esclaves. L'idée d'une évaluation vient directement du monde des affaires et du systeme capitaliste dans lequel nous vivons : concepts de "return on investment", "benchmarks", "productivité", etc... Malheureusement, quand il s'agit d'êtres humains et de formation a la pensée, ces critères économiques n'ont aucune validité. Ils sont aussi extrêmement dangereux, parce qu'alors les êtres humains sont assimilés a des ressources de production, mais au service de quelle entreprise ?

Pour finir, je veux préciser ici que je suis Francaise, que j'ai fait toute ma scolarité en France jusqu'au DEUG et que si j'ai constaté des defaillances dans l'organisation, la direction de l'enseignement et les supports matériels et psychologiques offerts aux etudiants de première année universitaire, ces défaillances ne venaient pas des professeurs qui étaient tout autant victimes d'un systeme archaïque et obsolète que nous, étudiants.

On ne devient pas enseignant par souci de rentabilité mais par passion de l'étude, et les grands progrès de l'humanité n'ont pas ete amenés par des gens soucieux de résultats économiques mais par des "mentats" qui ont eu le courage de chercher, génération apres génération, la vérite et le progrès ! Quand aux instituteurs que ma génération a eu le privilège de connaître, je ne peux que leur exprimer ici ma plus profonde reconnaissance pour une qualité d'enseignement qui a fait de nous des êtres ouverts au monde et au désir de connaissance. Leur performance se situe au-dela de toute évaluation !

sources : le monde du 07.12.08

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