lundi 8 décembre 2008

Détecter in utero la graine de violence ?


Frédéric Lefebvre, porte-parole de l’UMP, a relancé lundi l’idée d’une détection des troubles du comportement chez l’enfant dès le plus jeune âge, en complément d’un abaissement de la responsabilité pénale à 12 ans, pour faire face à la délinquance des mineurs.
«En 1945 un mineur sur 166 était mis en cause dans une affaire pénale, aujourd’hui c’est un sur trente, il faut réagir», a déclaré M. Lefebvre sur Europe1.
«Je ne pense pas que ce soit trop tôt», a-t-il dit à propos de la proposition d’abaisser la responsabilité pénale de 13 à 12 ans faite par la commission Varinard chargée par la garde des Sceaux Rachida Dati de réformer la justice pénale des mineurs.
«Moi je souhaite qu’on aille même sans doute un peu plus loin», sur «la question de la détection précoce des comportements», a-t-il ajouté. «Cela a été noté dans beaucoup de rapports. On dit qu’il faut le faire dès l’âge de trois ans pour être efficace.»
«Je ne suis pas un spécialiste, donc je ne déterminerai pas à quel âge il faut le faire», mais «quand vous détectez chez un enfant très jeune, à la garderie, qu’il a un comportement violent, c’est le servir, c’est lui être utile à lui que de mettre en place une politique de prévention tout de suite», a expliqué le député des Hauts-de-Seine.
«Si on veut éviter d’avoir à appliquer le pénal très tôt, il faut essayer de faire de la prévention, il faut accompagner ces enfants dont on voit qu’ils sont en train de partir sur un mauvais chemin.»

En tant que pédopsychiatre, je me permets de proposer à M. Lefebvre des mesures enfin utiles. Il est sans doute possible de détecter in-utero les gènes de la graine de violence chez le fœtus. Dans ce cas, deux gendarmes devront obligatoirement être présents lors de l’accouchement avec un mandat d’arrêt, menotter le nouveau-né, lui faire une fouille au corps avec toucher rectal (c’est plus simple, il est déjà tout nu) avant de l’emmener chez un juge d’instruction qui lui signifiera immédiatement la trajectoire de soins à laquelle il devra se plier.
Ce bébé n’a pas été détecté avant la naissance ? Soyez tranquilles, une équipe spécialisée sera présente dans toutes les maternités pour surveiller ses mouvements et son agitation. S’il fait des gestes trop désordonnés, la même procédure pourra s’appliquer immédiatement.
Décidément, ce gouvernement persiste et signe dans cette obsession sécuritaire qui confond protéger les personnes en souffrance et protéger la société.
Dans un discours prononcé par Nicolas Sarkozy dans un hôpital psychiatrique à Antony le 2 décembre, il n’a été question que de cela : crédits pour la sécurité dans les hôpitaux, augmentation des unités fermées disciplinaires, chambres d’isolement, renforcement des hospitalisations sous contrainte. Protéger les malades mentaux qui, compte tenu de la déshospitalisation, vivent eux-mêmes un quotidien d’errance effroyable : pas un mot. Favoriser la qualité des soins : quelle drôle d’idée… Nous revenons à la glorieuse psychiatrie du XIXe siècle. Tout ce qui importe c’est détecter, surveiller, punir.
S’agit-il de s’alarmer de la souffrance psychique des enfants le plus tôt possible : aucun professionnel n’est contre, et des initiatives existent déjà pour favoriser l’accès aux soins. Mais pourquoi dans ce cas supprimer les RASED qui ont fait leurs preuves ? Je ne sais à quels «rapports» se réfère M. Lefebvre.
Prenant en compte le débat scientifique et de société qui s’en suivit, lors du colloque de l’Inserm le 14 novembre 2006, le ministre de la santé Xavier Bertrand affirmait «la question du dépistage précoce de ces troubles [des conduite chez l’enfant et l’adolescent], ont pu faire naître le sentiment d’un amalgame entre troubles des conduites et délinquance des mineurs. Je refuse fermement cet amalgame. (…) Toute association systématique entre troubles du comportement et délinquance est non seulement infondée, mais elle amène forcément à des réponses qui ne sont pas les bonnes.»
Le Comité national d’éthique rappelait, dans son avis du 11 janvier 2007 qu’«une médecine préventive qui permettrait de prendre en charge, de manière précoce et adaptée, des enfants manifestant une souffrance psychique ne doit pas être confondue avec une médecine prédictive qui emprisonnerait, paradoxalement, ces enfants dans un destin qui, pour la plupart d’entre eux, n’aurait pas été le leur si on ne les avait pas dépistés. Le danger est en effet d’émettre une prophétie autoréalisatrice, c’est-à-dire de faire advenir ce que l’on a prédit du seul fait qu’on l’a prédit».
En 2006, des projets de détection précoce des troubles du comportement dès le plus jeune âge pour prévenir la délinquance, s’appuyant sur un rapport de l’Inserm, avaient suscité un tollé chez les professionnels de la petite enfance, éducateurs et "psys".
Une pétition était initiée par le collectif "http://www.pasde0deconduite.ras.eu.org/" Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans". Ce collectif a tenu depuis deux colloques scientifiques et publié trois ouvrages sur ces questions. Il signifie vigoureusement que le débat a bien eu lieu, et rappelle que les instances professionnelles, politiques et éthiques se sont finalement rejointes dans un refus de confondre la prévention et la prédiction.
La pétition a recueilli à ce jour près de 200000 signatures. Elle est toujours d’actualité…
P.S. les bébés grandissent et deviennent des ados. On lâche sur eux des chiens policiers dans les établissements scolaires. Si seulement ils avaient pu être détectés plus précocement, on aurait pu épargner cette peine à ces pauvres bêtes.
• Serge Hefez •

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