dimanche 21 décembre 2008

La semaine particulière de Nicolas Sarkozy


En annonçant, vendredi 19 décembre, au matin sur France 2, non pas un remaniement mais un «modeste ajustement» pour janvier, le secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant est venu confirmer ce que l'on pouvait déduire des événements de ces derniers jours: le pouvoir marche sur des œufs.

Les reculs successifs de Xavier Darcos sur l'école, de François Fillon sur la proposition de loi facilitant le travail le dimanche (dont la discussion est renvoyée à mi-janvier), les trésors de précaution de Nicolas Sarkozy sur les projets de privatisation de La Poste (commission Ailleret) ou de modification de la Constitution pour faire avancer la cause de la diversité (rapport de Simone Veil), témoignent de la valse-hésitation qui a gagné l'Elysée. Volontaire, vindicatif, intrépide en octobre (le discours de Toulon et à la suite son action sur la scène internationale), le Nicolas Sarkozy des premiers jours de la crise financière paraît avoir cédé la place à un homme plus hésitant, encore plus pragmatique maintenant que la France s'enfonce dans la récession.

Recevant les députés UMP mercredi 10 décembre, le Président s'était laissé aller à une de ses fables express qu'il affectionne: «Les Français adorent quand je suis avec Carla dans le carrosse mais en même temps, ils ont guillotiné le roi. C'est un pays régicide. Au nom d'une mesure symbolique, ils peuvent renverser le pays. Regardez ce qui se passe en Grèce.» Peu avaient été dupes. D'abord parce que la mobilisation en Grèce, malgré sa durée, n'a touché que des sphères très limitées de la jeunesse et des salariés (5000 personnes ce jour-là dans les rues d'Athènes), ensuite parce qu'il est apparu aux participants qu'en grossissant le trait de l'Histoire, le chef de l'Etat ne faisait qu'exercer sur eux une pression supplémentaire afin qu'ils obéissent aux ordres (6 députés UMP ont malgré tout refusé de voter la loi sur l'audiovisuel et 7 se sont abstenus).

N'empêche, le propos présidentiel est symptomatique d'une inquiétude qui avait déjà affleuré le 27 novembre devant le congrès de l'Association des maires de France. Ce jour-là, Nicolas Sarkozy avait «senti» la salle, compris l'irritation et l'inquiétude des quelque 4000 édiles présents et il leur avait administré un numéro dont il a le secret. Une bonne heure de discours improvisé, un propos tout en rondeur et en reculades sur à peu près tous les sujets qui fâchent : les 1400 poursuites opérées contre les maires n'ayant pu mettre en place le service minimum d'accueil dans les écoles, la suppression programmée de la taxe professionnelle en 2009, l'inter-communalité. Il était patent que le chef de l'Etat n'avait d'autre intention que de temporiser, rassurer, apporter des garanties, comme si les discours enflammés contre les dérives du capitalisme financier ne suffisaient plus à définir et conduire une politique.

Mais on aurait sans doute tort de circonscrire les difficultés actuelles de l'exécutif aux seuls effets de la crise. Tout aussi significatif a été le refus des députés de la majorité de revenir ce jeudi de leur circonscription pour y engager la discussion parlementaire sur le projet de loi du travail le dimanche et l'empressement du Premier ministre à renvoyer le débat pour la mi-janvier. Un véritable camouflet. Malgré le forcing élyséen jeudi matin encore, malgré les coups de téléphone de Jean-François Copé (le patron des députés UMP), il a été impossible de trouver un nombre suffisant d'élus pour ne pas risquer d'être mis en minorité par une gauche requinquée.
Les maires grognent, les députés traînent des pieds, certains ministres font entendre leur différence (Yade, Dati, Boutin, MAM) ou quittent le navire (Jouyet, Bertrand) : le Président n'a sans doute jamais été aussi seul.
«Une allumette pourrait allumer un incendie»

Quand il peste jeudi, à l'Ecole polytechnique, contre les lenteurs et les conservatismes qui empêchent la mise en œuvre de ses décisions et qu'il menace («je ne le supporterai pas»), le commentateur croit qu'il vise la haute fonction publique et les cabinets, mais il se peut aussi que le Président s'adresse à son Premier ministre, accusé de mauvaise volonté. Et vice versa. Quand François Fillon répète à longueur de journée qu'«avant la crise la France avait besoin d'être réformée. Avec la crise, elle a besoin d'être transformée», cette instance peut passer pour du zèle à l'adresse d'un président réformateur. Mais on peut aussi y voir une critique contre l'éparpillement d'un Président qui, plutôt que de s'attaquer à la crise économique et se concentrer sur la relance, préfère lancer des sujets idéologiques (le travail le dimanche) ou poursuivre ses lubies (la suppression de la pub) pour complaire à ses amis.

Les reculades actuelles tiennent sans doute de ces deux aspects. L'un, objectif, renvoie à l'impréparation du gouvernement qui n'a pas vu venir la crise. Et l'absence de marges de manœuvre. A la fin de 2009, Nicolas Sarkozy pourra se vanter d'avoir doublé le déficit budgétaire en année pleine. L'autre est subjectif et tient à la lassitude de la troupe ou son irritation grandissante devant cette verticalité sarkozyenne qui l'agace.

A l'Elysée, un homme, Raymond Soubie, sans doute le meilleur expert de la chose sociale en France, épluche les statistiques des directions départementales du travail et les rapports des préfets à la recherche des indices du feu qui couve et menace de tout embraser. Que voit-il exactement? Les dernières élections prud'homales ont montré une certaine radicalisation du vote (la CGT et SUD ont progressé, la CFDT a régressé, seul l'UNSA dans le camp réformiste progresse) mais ce sont surtout les abstentionnistes qui se sont signalés (25,6 % de participation, en baisse de sept points par rapport à 2002). S'il est vrai que la soudaineté du mouvement lycéen et sa violence parfois (pour l'essentiel en Bretagne) ont surpris et inquiété les hautes sphères de la rue de Grenelle, comme la réaction des ouvriers de Renault Sandouville à la visite de Nicolas Sarkozy en octobre dernier avait frappé par sa vigueur, il est difficile de se faire une idée de ce que les Français ont retenu de la succession d'événements qui secouent le monde. Sont-ils KO ou courroucés, prêts à bondir ou effondrés?

«La crise a tout changé». Jeudi 18 décembre, un conseiller de François Fillon reconnaissait volontiers que la référence hellénique ne pesait pas lourd pour expliquer les prudences et les reculades de la semaine. «La Grèce appartient au paysage, c'est sûr, on regarde, mais la situation là-bas n'explique pas ce qui se passe en France. Dans le secteur privé, on assiste à des poussées de fièvre locales à l'annonce de suppressions d'emplois mais de façon plutôt sporadique, sans qu'il n'y ait de lien entre les unes et les autres. On a conscience qu'une allumette pourrait allumer un incendie, on fait attention. Dans le public, il y a le secteur du transport et l'enseignement, mais dans l'ensemble ça se tient. Il faut être pragmatique, réactif, mais nous n'avons pas le choix, il faut bouger. L'immobilisme serait pour nous la pire des choses.»

Les six premiers mois de 2009 se feront sous la contrainte de la récession et les critiques d'une gauche qui voudra gagner les élections européennes du 7 juin. Les textes qui se profilent à l'échéance de la nouvelle année ont cependant de quoi laisser perplexe: la couverture du risque «dépendance», la suppression de la taxe professionnelle, la loi sur le logement, le Grenelle II, la carte hospitalière... soit ces projets coûtent cher, soit ils sont ultrasensibles socialement. Pas de chance. Les caisses sont vides et l'allumette n'attend qu'à s'embraser. De nouvelles reculades en perspective? Les oiseaux de mauvais augures ne parviendront pas à l'affecter. Lundi, il s'envole pour une visite de deux jours au Brésil, qu'il prolongera par un séjour privé. Les fêtes sur les plages de Rio. L'ajustement viendra bien assez tôt.
Par Gérard Desportes
Mediapart.fr

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