mardi 10 février 2009

Université : Pourquoi Valérie Pécresse (et d’autres) ne comprennent rien

par Jean Pierre Dufoyer, Maître de Conférences, Université Paris Descartes

Valérie Pécresse sort d’H.E.C. On y apprend plein de choses « enrichissantes ». Mais ce n’est pas un grand institut de recherche. Elle a donc développé, dans sa ligne, une conception « commerciale » : la recherche est destinée à obtenir des brevets. Et à faire des affaires.
L’université s’est développée depuis des siècles autour d’un statut d’indépendance scientifique : les « franchises » universitaires qui garantissaient la liberté de penser, d’imaginer et de critiquer. Ce que les régimes totalitaires n’aiment guère. Ces régimes-là veulent qu’on pense dans le sens qu’ils indiquent. C’est bien sûr. Il fut un temps béni où la police n’entrait pas à la Sorbonne. La France a bien changé !

Mais les universitaires ne s’intéressent guère à la pensée « guidée ». Les universitaires recherchent la connaissance. La vraie. Pas celle des gourous.
Celle qui est vérifiable ! Qu’elle soit agréable ou non à entendre. Qu’elle soit utile aujourd’hui ou seulement demain. Ou dans cent ou mille ans. Car la connaissance n’est jamais inutile. C’est elle qui depuis les origines de l’humanité a fait le progrès.

Le progrès est « scientifique » (du verbe « savoir »). Le progrès, c’est aussi, paradoxalement mieux connaître le passé de l’humanité.
Le progrès, ce n’est pas que seulement mettre des hommes sur la lune.
Le progrès, ce n’est pas que guérir certaines maladies.
Il y a d’ailleurs des progrès qui n’en sont pas, ceux qui font produire avec de bons brevets de bonnes armes de destruction massives.

Le progrès c’est tout ce qu’on découvre aujourd’hui et qu’on ne savait pas hier.
Les universitaires sont des hommes et des femmes de progrès, très souvent désintéressés qui ont le goût ou la passion d’un petit coin de connaissance.
Ils savent bien que cela servira un jour. Mais ils ne savent pas quand. Ils savent aussi qu’il est aussi important de savoir ce qu’on ne sait pas ou qu’on ne sait pas encore. Ils n’ont pas honte de leurs ignorances. Ils ne les cachent pas. Ils les cultivent pour les vaincre.

Il y a aussi une autre chose qui énerve certains puissants: le principe de collégialité. Depuis des siècles, les universitaires se gouvernent entre eux. C’est vrai, cela peut sembler bizarre. Mais qui évaluera la recherche des astronomes, des physiciens, des médecins, des psychologues, des historiens, des exégètes de la Princesse de Clèves, sinon les autres astronomes, physiciens, médecins, psychologues, historiens, exégètes ? Ce n’est pas Madame Pécresse qui n’y connaît rien.

Évidemment, le principe de collégialité a ses défauts. Mais le moyen de faire autrement ? Les jeunes chercheurs sont aidés et évalués par des chercheurs plus anciens. Alors il y a des écoles de pensée, qu’on critique, à juste titre. C’est vrai qu’elle est parfois pesante, la pensée dominante. Mais il arrive toujours que d’autres esprits viennent lui tailler des croupières et orienter les recherches vers d’autres voies (« et pourtant, elle tourne »). On finit bien par leur donner la parole, parce qu’on n’est pas si dogmatique qu’on croit. Et parfois ils surprennent. Au début. Au début seulement. Et c’est ainsi qu’apparaissent les grands précurseurs. Mais est-ce en étant ministre ou Président qu’on devient un grand précurseur ?
Aujourd’hui, on voudrait qu’un certain mode d’organisation politique, économique et social pilote la recherche. Un modèle mondial qui vient de s’effondrer misérablement entraînant dans son sillage des millions d’hommes et de femmes dans la pauvreté… Parce qu’il était aux mains d’une poignée d’ignorants, dont un grand nombre sortis des grandes écoles commerciales du monde entier.

Madame Pécresse et Monsieur Sarkozy s’énervent inutilement, parce que les universitaires, enseignants et chercheurs, ne trouvent pas ou ne courent pas forcément après les brevets qu’on peut convertir en euros à court terme. Ils n’ont rien en commun. Les universitaires regardent plus loin. Ils regardent l’avenir de la science, l’avenir du monde et l’avenir de l’humanité. Et en plus, ils ont l’audace d’enseigner cela. On comprend que les régimes autoritaires ne les aiment pas.

Philippe RAPATEL, Dept Anglais, 34, Avenue Carnot, 63000 - Clermont-Ferrand

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